A
l’occasion de son ahurissante performance lors de l’édition 2011
du MaschinenFest à Oberhausen en Allemagne, nous avons eu
l’opportunité de nous entretenir avec Brian Williams alias
Lustmord, l’un des premiers et des plus influents artistes à
pratiquer ce qu’on appelle le dark ambient.
A
l’Arrache : Tu as commencé à jouer live assez récemment, bien
que tu aies une longue carrière derrière toi…
Brian
Williams : En fait j’ai commencé en 1981, j’ai donné trois
concerts à l’époque.
ALA:
Avec SPK ?
B.
: Non, seul, avec SPK c’est venu plus tard, en 1983.
ALA:
Pourquoi as-tu cessé de jouer live à l’époque ?
B.
: Bonne
question (rires). Tout d’abord, je n’étais pas très satisfait
de la manière dont on pouvait faire un live à l’époque. Tu
sais, je suis connu pour avoir un son particulier, et en 1981 je
n’avais encore vraiment trouvé ce son, j’étais toujours en
train de me chercher. Donc jouer live à l’époque était certes
amusant, mais pas vraiment intéressant, si tu vois ce que je veux
dire.
ALA:
C’était peut-être aussi plus difficile qu’aujourd’hui car
l’équipement que tu devais trimballer était beaucoup plus
volumineux…
B.
: Exactement.
ALA:
Qu’utilisais-tu comme machines ?
B.
: En fait, les premières années, j’avais très peu de matos : un
seul synthé, le EMS
VCS 3,
mais je n’avais pas de quoi m’enregistrer, j’utilisais donc ce
que des amis voulaient bien me prêter. Par la suite j’ai peu à
peu amassé plus de matos, ce n’était donc pas très pratique pour
jouer live.
ALA: Et donc, les
premiers à t’avoir booké après toutes ces années furent les
membres de l’Eglise de Satan, n’est-ce pas ? Comment
as-tu vécu cela ?
B.
: Eh bien, durant 25 ans je n’ai pas joué live ni eu l’intention
de le faire, mais après tout ce temps je me suis dit que je devrais
faire quelque-chose pour marquer le coup, et le fait de jouer live
semblait une bonne idée. Donc j’ai commencé à réfléchir à la
manière dont je pourrais rendre ça intéressant, car les concerts
joués avec seulement un laptop sont souvent chiants, je ne paierais
pas pour voir ça, donc je ne vois pas pourquoi j’attendrais des
autres qu’ils le fassent. Puis, l’Eglise de Satan m’a contacté,
comme ils en ont l’habitude (rires). Ils étaient en train de
planifier leur tout premier rituel public, qui allait réunir des
membres de l’Eglise venus du monde entier, pour leur 40ème
anniversaire, qui tombait la même année que le 25ème
anniversaire de mon projet. Mais par-dessus tout, c’était le
06/06/2006. Pour moi, c’était un peu un trip à la Spinal Tap,
comment peut-on refuser un plan pareil ?! Ca collait à l’image que
les gens ont de ma musique, qui est très sombre et tout ça, et je
me suis dit : « Si je veux jouer live après 25 ans, je
dois le faire à cette date, car c’est super drôle ! »
ALA: Qu’en fut-il de
l’atmosphère générale de l’événement ? Tu as trouvé ça
drôle aussi ?
B.
: Je ne dirais pas drôle, mais je dirais amusant. Ma femme et moi au
milieu d’une salle remplie de Satanistes, qui étaient tous là
« Gloire à Satan », et moi j’étais là « Ouais,
si tu vous voulez » (rires). Mais ils ont été très sympas.
Je me suis un peu moqué d’eux, parce que bon, comment peut-on ne
pas se moquer de l’Eglise de Satan ? (rires). Je suis athée,
mais ça ne les a pas gênés, personne n’a essayé de
m’endoctriner, car s’ils l’avaient fait, je serais parti.
ALA: Accompagnais-tu déjà tes performances de projections vidéo à l’époque ?
B.
: Non. Ce qui s’est passé à l’époque, c’est qu’ils m’ont
demandé de venir jouer, et pour la première fois j’ai envisagé
de faire ça avec un laptop, ce que j’aurais trouvé franchement
chiant auparavant. Mais à peu près à la même période je suis
allé voir un concert de Kraftwerk, que je n’avais plus vus en live
depuis longtemps, et ils étaient là, à quatre sur scène avec
chacun un laptop, et ce fut l’un des meilleurs concerts que j’aie
jamais vus, le son était fantastique. Du coup j’ai réalisé que
oui, on peut jouer avec un laptop dans une certaine mesure. Donc j’ai
participé à ce truc de l’Eglise de Satan, j’ai utilisé ce
logiciel, Ableton
Live,
et c’était en quelque sorte un test pour moi. J’ai pu
improviser, ce qui pour moi est tout l’intérêt de la chose. Même
si le public ne le voit pas vraiment, tu peux faire beaucoup de
choses comme ça (jouer avec des instruments virtuels, manipuler de
l’audio avec des effets en temps réel).
ALA:
Et les vidéos que tu projettes à l’arrière plan ? Tu les as
conçues toi-même, où y a-t-il d’autres artistes impliqués dans
le projet ?
B.
: C’est principalement moi. Le problème était que je n’avais
pas d’argent pour payer quelqu’un pour se charger de ça pour
moi, donc j’ai dû apprendre à le faire moi-même. J’ai passé
quelques mois à apprendre à utiliser ce logiciel, After
Effects.
J’ai aussi reçu de l’aide de trois amis, Dominic Hailstone,
Metas Meir and Adrian Wyer. A peu près 10% du résultat est d’eux.
A terme je voudrais avoir quelqu’un sur scène avec moi qui fasse
le visuel en temps réel, mais pour le moment je ne peux pas.
J’utilise de la vidéo haute-définition, et l’ordinateur que
j’utilise ne pourrait pas gérer ça. Faire ça en temps réel
serait plus compliqué, mais aussi plus intéressant.
ALA:
Je me souviens avoir lu dans une interview de toi que tu n’écoutais
absolument pas de musique similaire à la tienne…
B.
: Ca doit être vrai alors (rires).
ALA:
(rires) Quel genre de musique écoutes-tu le plus ?
B.
: J’écoute beaucoup de dub, par exemple. A la base j’aime bien
le rythme, le groove. J’écoute aussi parfois de la musique
atmosphérique, mais pas du même genre que ce que je fais. Je sais
que les gens qualifient ma musique de « dark ambient »,
et j’ai écouté d’autres musiques qui entrent dans cette
catégorie, et ça ne m’intéresse tout simplement pas.
ALA:
Tu ne te considères donc pas comme partie intégrante de cette scène
?
B.
: Eh bien, tout d’abord je n’ai pas l’impression qu’il existe
une telle scène, mais s’il en existait une, je n’y
appartiendrais pas. J’ai bossé avec les Melvins ou Tool par
exemple, qui sont complètement différents de moi musicalement, mais
ce sont mes contemporains, je me sens beaucoup plus proche d’eux
que d’aucun artiste dans le drone. Nous avons des manières
complètement différentes de faire les choses, mais nous nous
comprenons, nous parlons le même langage.
ALA:
A propos de ces collaborations avec Adam Jones et Buzz Osborne entre
autres, as-tu de nouveaux projets de ce côté ?
B.
: Avec Adam, pas pour l’instant, on ne s’est pas vus depuis un
moment à vrai dire, mais avec Buzz on a en effet enregistré de
nouvelles choses, mais ce n’est pas terminé. Nous avons aussi
évoqué la possibilité que je joue live avec les Melvins, mais ça
ne s’est pas encore concrétisé pour l’instant. Je suis très
ouvert à bosser avec les autres, mais parfois certaines personnes
prennent contact avec moi car ils veulent faire du drone / dark
ambient, et ça je peux le faire tout seul. C’est beaucoup plus
intéressant de travailler avec des artistes issus de genres
différents, et de ne pas savoir à l’avance ce que ça va donner.
Par exemple mon ami Wes (Borland, guitariste de Limp Bizkit et leader
de Black Light Burns, ndlr) voudrait faire un album avec moi, mais je
ne sais pas quand ce sera possible car il est très occupé. Tu sais,
tous ces gars sont très au fait de tous sortes de genres musicaux,
pas seulement les genres qu’ils pratiquent, tout simplement parce
qu’ils aiment la musique, c’est pourquoi ils sont musiciens. Avec
Stephen O’Malley (Sunn O))), ndlr), nous avons aussi parlé de
faire quelque chose ensemble. Nous avons récemment improvisé
ensemble sur scène en Suède, c’était très fun.
ALA:
Fondamentalement, quelles sont les raisons qui font que tu te sens en
phase avec un autre artiste ? Ressens-tu plus d’affinités envers
les gens de la scène électronique ou du rock ?
B.
: C’est plutôt une question d’attitude. Il ne s’agit pas du
son ou du style musical, mais de la manière de concevoir les choses.
Je suis issu des tout débuts de la scène industrielle (SPK, Cabaret
Voltaire, etc.), des groupes qui ont énormément influencé ce qu’on
a par la suite qualifié de « musique industrielle »,
même si pour moi ça n’a rien d’industriel, c’est juste du
rock avec des samples. L’industriel old school, ce n’était pas
une question de style vestimentaire ni même de son, c’était
plutôt une question de philosophie.
ALA:
J’ai lu sur ton site qu’il arrive parfois que des gens te
demandent de bosser gratuitement et que tu as du mal à leur faire
comprendre que tu ne peux pas faire ça, car c’est avec la musique
que tu gagnes ta vie…
B.
: Bien sûr que ça m’arrive de bosser gratuitement parfois, mais
si je le fais ça doit être sur un projet vraiment cool et
intéressant, un truc qui me fasse dire : « Waw, c’est
génial, je veux en faire partie ! ». Le problème est que
si des gens viennent me voir avec des projets totalement stupides, et
qu’ils veulent que je bosse dessus gratuitement, pourquoi
accepterais-je ? Est-ce que tu demanderais à un électricien de
venir faire des réparations chez toi pour rien ? (rires). Mais
comprenons-nous bien, je ne fais évidemment pas ce que je fais pour
l’argent, sinon je ferais un tout autre genre de musique. La
musique que je fais n’est pas une façon de gagner de l’argent,
c’est plutôt une façon d’avoir des soucis d’argent, mais bon,
c’est ce que je fais.
ALA:
Quel est ton ressenti sur le fait d’être considéré comme une
influence majeure par beaucoup d’artistes de la scène « dark »,
dont parfois la musique n’est pas si sombre au final, quoi que ça
puisse vouloir dire…
B.
: Je n’y pense jamais, pour être honnête (rires). En fait je suis
parfois un peu gêné quand je rencontre des gens qui se disent
influencés par ma musique. Bon, évidemment c’est très flatteur,
mais s’ils se contentent d’en faire une pâle imitation, je ne
vois pas l’intérêt. D’autre part il y a des gens qui aiment ma
musique mais jouent quelque chose de complètement différent, et ça
c’est intéressant. Ma musique ne les a pas incités à me copier,
mais juste à faire leur propre musique, ce qui est positif. Bien
sûr, si des gens aiment suffisamment ma musique que pour vouloir me
copier, c’est un compliment en soi, mais ça m’intéresse
beaucoup plus qu’on me dise quelque chose comme : « Ta
musique est bonne, oui, mais elle pourrait être meilleure, tu
pourrais essayer de t’y prendre différemment, etc. »
ALA:
Tu ne considères pas ta propre musique comme particulièrement
sombre, n’est-ce pas ?
B.
: Non, mais je comprends pourquoi les gens la perçoivent comme ça.
Ma musique est très lente et riche en basses fréquences, les gens
trouvent donc ça sombre. Mais bon, qu’est-ce qui est réellement
sombre au final ? La vie peut être foutrement sombre, la vie en
Afrique par exemple.
ALA:
Que penses-tu des grand progrès technologiques qui ont eu lieu
depuis tes débuts ? Cela
a-t-il changé ta manière de travailler ?
B.
: Non, j’ai juste des outils beaucoup plus puissants qu’autrefois,
c’est tout. Tu sais, les gens veulent souvent savoir quel
équipement j’utilise, et je ne rechigne pas à en parler, mais ce
n’est pas ça l’important, comme je le dis souvent. Les idées
sont ce qui importe. Si tu as beaucoup d’argent, tu peux acheter
tout le matos du monde, mais si tu n’as pas d’idées ça n’aura
aucun intérêt. En revanche, si tu as des idées mais peu de matos,
tu trouveras toujours une façon de faire quelque chose
d’intéressant. Les gens croient souvent que j’utilise de vieux
synthés analogiques, des amplis à lampes et tout ça, mais je ne
travaille qu’avec des ordinateurs désormais. La façon dont ma
musique sonne dépend de mon sens de l’esthétique, c’est tout.
Ce que je fais est en fait plutôt simple, je choisis simplement les
sons que j’aime. Je pourrais montrer aux gens exactement comment je
m’y prends, mais le choix des sons dépendrait toujours d’eux.
N’importe qui peut faire du bruit, la musique noise est d’ailleurs
plutôt chiante la plupart du temps. Mais quand quelqu’un a une
esthétique propre et choisi de faire du bruit d’une certaine
façon, ça fait toute la différence.

ALA:
Utilises-tu toujours beaucoup de field recordings dans ta musique ?
B.
: Oui, mais plus que de vieilles prises. J’ai enregistré des sons
pendant trente ans et j’ai une énorme collection dans laquelle
piocher. Et pour être honnête, toute cette démarche de sortir
faire des field recordings peut devenir vraiment chiante à force
(rires).
ALA:
J’aimerais clôturer cette interview par une question stupide…
B.
: Oh, il ne faut pas dire ça, aucune question n’est stupide. Si tu
ne sais pas quelque chose, demande. Ne pas demander serait la chose
la plus stupide à faire.
ALA:
OK. As-tu jamais suivi des cours d’ingénierie du son ou de production musicale ?
B.
: En fait c’est plutôt une bonne question. La réponse est non. Je
suis plutôt un punk dans l’âme, je ne connais rien à la musique,
je fais simplement ce que j’aime. J’ai appris à faire les choses
simplement à force de les faire, en autodidacte.
ALA:
Ca ne rend pas trop difficile la communication avec les autres
musiciens avec qui tu collabores ?
B.
: Non, car si tu trouves les bonnes personnes avec qui bosser, tu
trouves toujours un moyen de communiquer avec eux. Les musiciens avec
qui je travaille ne me parlent pas de notes ou de ce genre de choses,
parce qu’ils savent très bien que je n’aurais pas la moindre
idée de ce qu’ils racontent (rires). On trouve juste d’autres
moyens d’arriver à nos fins.